« Avoir un petit vélo dans la tête » : jolie expression issue de la sagesse enfantine, et qui signifie un état mental quelque peu marginal, plutôt agité, aux abords d’une folie que l’on qualifierait de douce …
Née en 1960, Agnès Lévy met précisément en scène dans ses grands lavis d’encre de Chine ce fameux petit vélo : sur les têtes, entre les têtes, dans les têtes, sur le bout de la langue. Cette bicyclette se promène entre les protagonistes d’un petit théâtre en noir et blanc : profils clownesques, surréalisme infantile qui plante des arbres au sommet des crânes, bouches muettes (l’artiste a fait ses premières armes dans le spectacle vivant).
« La bicyclette donne la réponse », nous dit-elle en guise de clef. Elle est symbole de ce qui, en nous, va parfois un peu trop vite dans les descentes (« freine ! »), ou nous fait peiner dans les côtes (« appuie ! ») ; ces petites folies quotidiennes qui naissent de nos rencontres, du regard d’autrui et du nôtre entrecroisés, de ces transports, comme les libertins des 17 et 18e siècles entendaient ce mot : un grand émoi, un échauffement particulier (Crébillon : « Laissez moi les transports dont mes sens sont ravis »).
Il est toujours fascinant de voir ainsi donner corps au fugace et à l’impalpable, fût-ce au travers d’une bicyclette : Agnès Lévy, pour ce faire, use d’un vocabulaire plastique dont le minimalisme chromatique et l’apparente simplicité formelle ne doivent pas masquer l’ambition et la parfaite adéquation au propos. Ainsi, la technique employée (le lavis) doit beaucoup au hasard (l’expansion aléatoire d’un tache d’encre sur le papier humide) et ne permet aucun repentir, à l’instar des calligraphies extrême-orientales : ces deux états de fait (abandon à un hasard relatif et déni de tout remord) caractérisent aussi une bonne part de nos relations amoureuses.
Ou du moins ce qu’elles devraient idéalement être pour se déconnecter de la trivialité quotidienne : « A l’image de la vie, mes échappées à vélo sont parfois cruelles ou douces », nous dit Agnès Lévy qui, quand elle parle de sa peinture, la qualifie de « pied de nez au monde réel ».